21 Juin 2017
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article de recherche
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Aérospatiale
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Technologies de l'information et des communications
M‐PHIS : un nouveau système d’imagerie pour faire pousser des plantes sur Mars











Résumé
La culture de plantes constitue une étape incontournable à la colonisation d’autres planètes. Ces plantes devront s’adapter à un environnement bien différent de ce qu’elles connaissent sur la Terre. L’article qui suit présente un nouveau système d’imagerie servant à évaluer la santé des plantes par mesure de la fluorescence. Ce système a été placé dans une chambre hypobare pour simuler les conditions sous lesquelles il pourrait être amené à fonctionner lors des premières missions puis de la colonisation de Mars. Cette planète a une pression atmosphérique inférieure à 1 kPa. Les installations de production de plantes fonctionneront donc probablement à une pression inférieure à 1 atm afin d’en réduire la masse structurelle. Un deuxième article intitulé Essais du M‐PHIS pour la culture des plantes sur Mars présentera les expériences effectuées sur ce système.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série qui porte sur la recherche et les développements technologiques effectués en vue de la colonisation d’autres planètes.
Introduction
Au fur et à mesure que l’être humain poursuit son exploration au-delà des frontières terrestres, il doit relever sans cesse de nouveaux défis. En effet, les missions d’exploration subissent souvent des contraintes majeures en raison des limites imposées par la masse de lancement et le réapprovisionnement. L’utilisation des plantes comme système de soutien à la vie continue d’être étudié pour maintenir la présence des humains dans l’espace, notamment les systèmes de biorégénération pour le soutien à la vie, qui font l’objet de recherches depuis le début du 20e siècle (Wheeler, 2010). L’Agence spatiale canadienne, l’Université de Floride et l’Université de Guelph ont travaillé sur la possibilité de soutenir la présence humaine sur la Lune et sur Mars par le déploiement de serres servant de bancs d’essai aux systèmes de production de végétaux (Bamsey et al, 2009a; Bamsey et al, 2009b). Le fondement de ce projet est l’usage de plantes pour la régénération des trois piliers de soutien à la vie humaine : l’air, l’eau et la nourriture (Tamponnet et Savage, 1994).
Les vols dans l’espace et les environnements extraterrestres présentent des défis uniques pour la survie des plantes. De là l’importance de comprendre les enjeux métaboliques qui peuvent influencer la croissance des plantes et leur développement dans l’espace. Des systèmes de surveillance capables d’observer en temps réel l’état des cultures qu’ils abritent permettraient aux opérateurs d’agir sur-le-champ et d’assurer ainsi une production et une fiabilité optimales. En plus d’utiliser la fluorescence de la chlorophylle, des gènes de réponse au stress sont marqués au moyen de gènes révélateurs, contenant différentes protéines fluorescentes; la fluorescence de ces produits génétiques permet ainsi d’observer l’activité génétique et, par extension, la santé des plantes (Plautz et al, 1996).
Le Transgenic Arabidopsis Gene Expression System (TAGES) est un biodétecteur qui utilise la fluorescence de l’Arabidopsis thaliana provenant de la chlorophylle naturelle rouge/proche infrarouge et la fluorescence verte produite par les gènes révélateurs de la protéine fluorescente verte (PFV) (Manak et al, 2002; Paul et al, 2003). Il existe plusieurs versions commerciales de systèmes d’imagerie et de mesure de la fluorescence des plantes, mais la plupart nécessitent des tests en laboratoire et l’intervention humaine. Aussi, les expériences poussées effectuées en orbite, sur la Lune et sur Mars, devront probablement se faire de façon autonome, sans humains pour faire fonctionner les systèmes d’observation et d’imagerie. De plus, même si la mission prévoit la présence humaine, il y a toujours des contraintes à considérer comme la pression interne de la serre/chambre de culture, la structure et la gestion du temps de l’équipage qui pourraient nécessiter des systèmes de biorégénération de soutien à la vie entièrement robotisés et/ou autonomes (Paul et Ferl, 2006).

Figure 1 Plantes Arabidopsis génétiquement modifiées. La couleur verte montre l’expression de la protéine fluorescente verte (PFV) et la couleur rouge, l’expression de la fluorescence naturelle de la chlorophylle
Un système d’imagerie multispectral pour l’étude de la santé des plantes (M‐PHIS) ferait progresser grandement notre capacité à observer de façon autonome les cultures spécialisées pour le soutien à la vie (Baker et Rosenqvist, 2004; Ehlert et Hincha, 2008; Galston, 1992; Lichtenthaler et Babani, 2000; Manak et al, 2002). Le présent article décrit la conception et le développement d’un prototype de système d’imagerie multispectral de la fluorescence, déployé dans une chambre hypobare pour la culture des plantes à l’Université de Guelph. Ce système a été conçu principalement pour faire l’imagerie multibande de la fluorescence de chlorophylles et de protéines en tenant compte d’aspects comme la portabilité et le fonctionnement autonome. Ce nouvel appareil innove en utilisant un filtre accordable à cristaux liquides (LCTF) du commerce et un panneau d’éclairage fait sur mesure, fait d’ampoules DEL pour la photosynthèse, à commande indépendante.

Figure 2 Système d’imagerie multispectral pour l’étude de la santé des plantes (M‐PHIS). Avant (A), arrière (B)
Chambre hypobare pour la culture des plantes
Un environnement hypobare a une pression plus basse que la pression atmosphérique. La pression atmosphérique de la Terre est de 101,3 kPa au niveau de la mer et décroît en altitude jusqu’à 30 kPa au sommet de l’Himalaya. La pression moyenne sur Mars est de 0,6 kPa, ou 170 fois moins que celle de la Terre. Les plantes peuvent croître sous pression absolue très basse si la pression partielle de l’oxygène est plus élevée que normalement.
Dans le but de simuler les conditions spatiales sous lesquelles devra fonctionner le système d’imagerie, ce dernier a été isolé dans une chambre hypobare pour effectuer des tests de fonctionnement de longue durée. Cette approche correspond à l’un des scénarios potentiels de déploiement dans l’espace et en orbite. Le test s’est fait dans une chambre hypobare pour la culture des plantes (Figure 3) au Controlled Environment Systems Research Facility (CESRF), à l’Université de Guelph (Ontario, Canada). Le CESRF entretient et exploite 20 chambres étanches à environnement contrôlé, dont 14 chambres à pression variable capables de supporter un quasi-vide (<1 kPa) (Bamsey et al, 2009b). De ces 20 chambres, cinq sont entièrement automatisées et mesurent 1,0 m sur 1,8 m sur 2,5 m, pour un volume total d’environ 4500 litres et une surface de croissance pour les plantes de 1,5 m2 (Wehkamp et al, 2012). Le système d’éclairage, d’irrigation et de distribution de nutriments est montré à la figure suivante.

Figure 3 Chambres hypobares au Controlled Environment Systems Research Facility (CESRF) de l’Université de Guelph. A) Vue extérieure du système d’éclairage, d’irrigation et de distribution de nutriment, B) le M‐PHIS déployé au CESRF, dans une chambre hypobare pour la culture des plantes.
Système d’imagerie multispectral pour l’étude de la santé des plantes
Le système d’imagerie multispectral pour l’étude de la santé des plantes (M‐PHIS) (Figure 3) est une version modifiée du système d’imagerie TAGES III (TIS-III), déployé à la serre Arthur Clarke sur l’île Devon, dans le Haut-Arctique (Abboud et al, 2013a). Le M‐PHIS compte plusieurs nouvelles fonctionnalités, dont la capacité de capter des images à différentes longueurs d’onde. En plus de capter l’expression de la PFV, le M-PHIS peut capter les protéines fluorescentes jaune et rouge, la fluorescence rouge/proche infrarouge de la chlorophylle et plus encore. La deuxième fonctionnalité la plus importante est la capacité de commander de façon indépendante les ampoules de croissance pour obtenir les longueurs d’onde désirées. L’utilisateur peut régler l’intensité de l’éclairage et le ratio entre les longueurs d’onde rouge et bleue pour répondre aux besoins des plantes testées. Grâce au réglage de l’intensité de l’éclairage de croissance, M‐PHIS peut aussi servir à étudier l’influence de différentes intensités de lumière et du ratio rouge/bleu sur la croissance des plantes.

Figure 4 Système d’imagerie multispectral pour l’étude de la santé des plantes (M-PHIS), couvercle enlevé et montrant les composantes internes
Ampoules de croissance
Un panneau d’éclairage entièrement nouveau, composé de DEL pour la photosynthèse et l’excitation, permet le réglage indépendant de l’intensité de chaque longueur d’onde. Les DEL ont une longue durée de vie, exigent peu d’entretien, sont écoénergétiques et comptent parmi les technologies à progrès rapide. Ces caractéristiques font des DEL une technologie avantageuse pour l’éclairage artificiel de systèmes de culture végétale (Folta et al, 2005) et la technologie d’éclairage de choix pour le M-PHIS. Différentes DEL rouges et bleues ont été sélectionnées suivant les résultats d’études antérieures portant sur la culture des plantes (Goins et al, 1997; Porra, Thompson et Kriedemann, 1989; Schurr, Walter et Rascher, 2006; West-Eberhard, Smith et Winter, 2011). Trois types de DEL rouges et bleues ont été choisies sur la base des longueurs d’onde de l’absorption maximale des chlorophylles a et b : 430 à 470 nm et 630 à 680 nm, respectivement. Comme la lumière verte est principalement réfléchie par les plantes, seulement une petite quantité de DEL vertes ont été intégrées au panneau d’éclairage (Folta et al, 2005).
En plus de permettre diverses combinaisons d’ampoules et de régler la longueur d’onde émise, le panneau du M‐PHIS offre la possibilité d’allumer indépendamment ses moitiés supérieure et inférieure. Ce réglage est avantageux car il permet à l’opérateur d’éclairer plus facilement les parties feuillues des plantes et de réduire l’éclairage sur les racines, où ce n’est pas requis. Il en résulte une économie d’énergie, ce qui est d’une extrême importance pour les expériences effectuées dans l’espace, où les sources d’énergie sont souvent très limitées. La possibilité d’utiliser moins de DEL a aussi entraîné une réduction de la chaleur produite et en a facilité l’évacuation.

Figure 5 Panneau d’ampoules de croissance et d’excitation en fonctionnement. A) Toutes les ampoules de croissance réglées à une intensité de 5 %. B) Partie supérieure, toutes les ampoules de photosynthèses réglées à 10 %. C) Ampoules d’excitation réglées à 25 %. D) DEL de 470 nm réglées à 5 %.
Pour mieux diriger l’énergie émise par les ampoules de croissance sur leur cible biologique, un angle parabolique a été intégré au panneau à l’aide d’un guide DEL fait sur mesure, fabriqué sur une imprimante 3D (Figure 2.10).

Figure 6 Représentation de l’angle parabolique du panneau d’éclairage propre au système d’imagerie multispectral pour l’étude de la santé des plantes (M‐PHIS) permettant de diriger l’énergie émise sur la cible désignée.
À suivre…
Plusieurs expériences ont été menées sous conditions hypobares. Elles seront présentées dans un nouvel article qui suivra sous peu.
Informations supplémentaires
Pour plus d’informations, consulter l’article de recherche suivant :
Abboud, Talal; Berinstain, Alain; Bamsey, Matthew; Ferl, Robert; Paul, Anna-Lisa; Graham, Thomas; Dixon, Mike; Leonardos, Demos; Stasiak, Michael; Noumeir, Rita. 2013. Multispectral Plant Health Imaging System for Space Biology and Hypobaric Plant Growth Studies. Insciences Journal –Sensors, 3(2), p. 24-44.
Ou le mémoire de maîtrise suivant : Abboud, Talal (2013). Systèmes d’imagerie pour l’étude de la santé des plantes et la biologie spatiale. Mémoire de maîtrise électronique, Montréal, École de technologie supérieure. 90 p.

Talal Abboud
Talal Abboud détient un baccalauréat et une maîtrise en ingénierie du Département de génie électrique de l’École de technologie supérieure (ÉTS). Il est actuellement concepteur en électronique au centre d'excellence de Kongsberg Automotive.

Alain Berinstain
Alain Berinstain a passé 17 ans à l’ASC où il a occupé le poste de directeur de l’Exploration planétaire et de l’astronomie spatiale. Depuis 2013, il se consacre à la communication de la science et de la technologie au sein de Psyence.

Matthew Bamsey
Matthew Bamsey est associé de recherche à l'Institute of Space Systems DLR en Allemagne. Il fait aussi partie de l’équipe du projet EDEN ISS. Il a participé à des projets de recherche à l’Université de Floride et de Guelph, et à l’ASC.

Robert Ferl
Robert Ferl est professeur à l'Université de Floride et directeur du Interdisciplinary Center for Biotechnology Research (ICBR). Ses intérêts de recherche sont la biologie spatiale, les protéines 14-3-3 et la structure chromatine.

Anna-Lisa Paul
Anna-Lisa Paul est professeure en Sciences horticole à l’Université de Floride. Ses intérêts de recherche sont la régulation de l’expression des gènes des plantes en réponse au stress abiotique et à des environnements extrêmes.

Thomas Graham
Thomas Graham est directeur de recherche et développement au CESRF de l’Université de Guelph. Son intérêt de recherche principal est l’optimisation de l’espace occupé par les systèmes de biorégénération de soutien à la vie.

Mike Dixon
Mike Dixon est professeur à l'Université de Guelph depuis 1985. Directeur du CESRF, il dirige aussi une équipe de chercheurs qui étudie la contribution des plantes au soutien à la vie humaine dans l'espace.

Demos Leonardos
Demos Leonardos est associé de recherche au Controlled Environment Systems Research Facility (CESRF) à l’Université de Guelph.

Michael Stasiak
Michael Stasiak est associé de recherche principal et directeur de service technique au Controlled Environment Systems Research Facility (CESRF) à l’Université de Guelph.

Rita Noumeir
Rita Noumeir est professeure au Département de génie électrique de l’ÉTS. Ses recherches portent sur l’utilisation de méthodes d’intelligence artificielle pour créer des systèmes d’aide à la décision ainsi que le traitement vidéo et d’images.
Programme : Génie électrique
Chaire de recherche : Chaire de recherche sur le développement et validation de systèmes d’aide à la décision clinique à l’aide de l’intelligence artificielle
Laboratoires de recherche : LIVIA – Laboratoire d'imagerie, de vision et d'intelligence artificielle SYNCHROMÉDIA – Laboratoire de communications multimédias en téléprésence
Laboratoires de recherche :
