01 Juin 2020
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article de recherche
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Infrastructures et milieux bâtis
Matériaux composites pour réhabilitation : du laboratoire à la réalité




@ Zine El Abidine Benzeguir
L’effet d’échelle est le phénomène associé à la différence de comportement entre les grandes poutres de structures réelles et les spécimens de taille réduite testés en laboratoire sur lesquels les modèles de prédictions des codes et des normes sont basés. Il a été établi que ce phénomène entraîne une diminution de la résistance en cisaillement des poutres en béton armé classiques (BA) avec l’augmentation de la taille des poutres. Est-ce que les poutres renforcées avec des matériaux composites avancés (MCA) collés en surface sont également assujetties à ce phénomène? C’est précisément la question que la présente recherche se propose d’élucider. Mots clé: Effet d’échelle; Poutres en béton armé (BA); Renforcement au cisaillement; Matériaux composites avancés (MCA) collés en surface.
L’effet d’échelle
Pour des raisons aussi bien économiques que pratiques, les chercheurs en génie des structures mettent à l’essai en laboratoire des spécimens de taille réduite afin d’étudier le comportement d’éléments structuraux réels de grandes dimensions. Les résultats des essais ainsi obtenus sont alors utilisés pour élaborer des modèles de calcul et de prédiction conceptuelle à l’usage de l’ingénieur praticien. L’utilisation de spécimens de taille réduite est une technique efficace et bien établie; elle est incontournable lorsqu’il s’agit d’éléments structuraux de pont ou de bâtiment, qui ne peuvent pas être reproduits au laboratoire compte tenu de leurs dimensions. Le problème est que la contrainte de cisaillement atteinte à la rupture tend à diminuer lorsque la taille des poutres augmente. Ce phénomène appelé « effet d’échelle » risque dès lors de compromettre les résultats et donc les modèles de conception lorsqu’il s’agit du renforcement de structures en béton armé (BA) à l’aide de matériaux composites avancés (MCA) collés en surface. À cet égard, le présent projet se propose d’évaluer l’influence de ce phénomène sur la résistance des poutres renforcées à l’aide de MCA collés en surface en mettant à l’essai trois séries de spécimens de poutres de tailles différentes.
Renforcement de poutres en BA avec MCA collés en surface
Les structures existantes en BA souffrent de sérieuses détériorations dues aux conditions climatiques rigoureuses, et en particulier à l’augmentation progressive des charges de service réglementaires. Le renforcement de ces structures avec des MCA collés en surface est une nouvelle technologie, récemment développée. Les avantages qu’elle procure font d’elle une meilleure solution en comparaison avec le renforcement usuel, comportant des plaques d’acier collées en surface, lequel ne règle pas le problème de corrosion de façon définitive. L’effet d’échelle sur la contribution du béton à la résistance au cisaillement est pris en considération dans presque tous les modèles de calcul des normes et des codes régissant le BA classique. Cela n’est cependant pas le cas pour la contribution des MCA collés en surface à la résistance au cisaillement, faute de modèles de calcul rationnels, basés sur des données scientifiques. En conséquence, un renforcement au cisaillement de poutres en BA à l’aide des MCA collés en surface, selon les normes et guides en vigueur, peut entraîner un dimensionnement non conservatif et donc, non sécuritaire.
Programme expérimental
Pour évaluer l’effet d’échelle sur la résistance au cisaillement de poutres en BA renforcées à l’aide de MCA collés en surface, notre programme expérimental consiste à mettre à l’essai au laboratoire trois séries de poutres en BA grandeur nature, représentatives de cas réels. Chaque série se compose de trois poutres de tailles différentes mais géométriquement semblables, c’est-à-dire impliquant un ratio identique des aciers internes et des MCA externes, quelle que soit la taille des poutres (Fig. 1). Les trois séries s’établissent comme suit : 1) une série de poutres de contrôle (non renforcée); 2) une série de poutres renforcées d’une seule couche de MCA; et 3) une série de poutres renforcées de deux couches de MCA. Le renforcement consiste à coller en surface, sur les trois faces de l’âme des poutres, du tissu en carbone selon une configuration en U, en continu sur toute la zone de test ciblée (Fig. 1).

Figure 1. Détails des poutres en BA et du renfort en MCA
Résultats des tests de cisaillement
Les résultats des essais ont révélé tout d’abord l’efficacité de l’utilisation des MCA collés en surface puisqu’un gain important en force de cisaillement est observé dans les poutres renforcées. En effet, le gain en force de cisaillement procuré par le renfort en MCA variait entre 45 % et 84 %, toutes tailles confondues (Fig. 2). Cependant, une diminution de la résistance au cisaillement est observée lorsque la taille des poutres augmente, et ce, quel que soit le nombre de couches de MCA (Fig. 3). En effet, pour les poutres comportant une seule couche de MCA, une perte en résistance au cisaillement de 38 % a été enregistrée dans la plus grande poutre par rapport à la petite poutre. Cette perte est amplifiée, atteignant 47 %, dans le cas de poutres renforcées de deux couches de MCA. Les résultats des essais montrent clairement qu’à l’instar de poutres traditionnelles, les poutres renforcées avec MCA collés en surface sont également influencées par l’effet d’échelle, qui cause une diminution de la contrainte de cisaillement à la rupture lorsque la taille des poutres augmente.

Figure 2. Gain en force de cisaillement dû au renfort en MCA

Figure 3. Perte de contrainte de cisaillement à la rupture due à l’effet d’échelle
La comparaison des résultats expérimentaux avec les modèles de prédictions des codes et des normes révèle une surestimation de la contribution des MCA collés en surface à la résistance en cisaillement. La comparaison a été effectuée avec la norme canadienne CSA S6-14 (2014) de calcul de ponts routiers ainsi que le code européen fib TG9.3 (2001) (Fig. 4). La figure montre clairement que les résultats des poutres moyennes sont nettement inférieurs à la prédiction normative.

a) code canadien

b) code européen
Figure 4. Rapport entre la force de cisaillement expérimentale et la prédiction des codes
Conclusion
Les résultats de la présente recherche montrent clairement que la contribution des MCA collés en surface à la résistance au cisaillement est influencée par l’effet d’échelle. Les modèles de prédiction de la contribution des MCA collés en surface à la résistance au cisaillement doivent impérativement prendre en considération l’effet d’échelle pour assurer la sécurité des grandes poutres renforcées à l’aide de matériaux composites.
Information supplémentaire
Pour plus d’information sur cette recherche, consulter l’article suivant :
Benzeguir, Z. E. A., El-Saikaly, G., and Chaallal, O. (2019). « Size Effect in RC T-Beams Strengthened in Shear with Externally Bonded CFRP Sheets: Experimental Study. » Journal of Composites for Construction, ASCE, 23(6), 04019048.

Zine El Abidine Benzeguir
Zine El Abidine Benzeguir est doctorant au département de génie de la construction de l’ÉTS.
Programme : Génie de la construction
Laboratoires de recherche : DRSR – Équipe de développement et recherche en structures et réhabilitation

Georges El-Saikaly
Georges El-Saikaly est professeur agrégé au département de génie de la construction de l’ÉTS. Ses recherches portent sur les infrastructures et les milieux bâtis, les matériaux et la fabrication.
Programme : Génie de la construction
Laboratoires de recherche : DRSR – Équipe de développement et recherche en structures et réhabilitation

Omar Chaallal
Omar Chaallal est professeur titulaire au département de génie de la construction de l’ÉTS. Ses recherches portent sur les infrastructures et milieux bâtis, les matériaux et la fabrication, et le transport terrestre.
Programme : Génie de la construction
Laboratoires de recherche : DRSR – Équipe de développement et recherche en structures et réhabilitation
Laboratoires de recherche :
