08 Mai 2018
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Matériaux et fabrication
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Santé
Prothèses canines personnalisées imprimées en 3D






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L’ostéosarcome est le type de cancer des os le plus commun chez le chien. L’objectif de ce projet est de réduire la durée des chirurgies permettant de sauver le membre (limb-sparing) de chiens atteints d’ostéosarcome du radius distal, en utilisant des endoprothèses personnalisées et des guides de coupe. Un logiciel spécialisé est utilisé pour reconstruire les modèles osseux à partir de tomodensitométrie (CT scan) du patient. La prothèse et le guide de coupe sont conçus en appliquant les consignes du chirurgien vétérinaire et en utilisant les modèles osseux comme soutien à la conception. La prothèse est fabriquée en un alliage de titane sur un système de fusion laser sur lit de poudre, tandis que le guide de coupe est imprimé en plastique par dépôt de fil. Plusieurs étapes de post-traitement sont effectuées avant l'expédition de l’ensemble prothèse-guide pour la chirurgie. Cinq chiens ont été opérés avec succès au cours de l'essai clinique en cours. Cette étude montre que les prothèses et les guides de coupe personnalisés permettent une réduction importante du temps de chirurgie et pourraient diminuer le risque d'infection postopératoire et de défaillance de l'implant.
Mise en contexte
Depuis les trente dernières années, une importante évolution a eu lieu dans le domaine de la fabrication additive, connue également sous le nom « impression 3D ». L’intérêt de fabriquer des objets métalliques par cette méthode réside dans la possibilité de construire des pièces fonctionnelles représentant des géométries très complexes, difficilement reproductibles par les méthodes classiques de fabrication. Ceci implique principalement les domaines aéronautique et biomédical. Puisque la complexité du composant n’a pas une grande influence sur le coût de production, l’impression 3D est idéale pour la fabrication de prothèses sur mesure, parfaitement adaptées à chaque individu. C’est dans ce cadre d’idées qu’a eu lieu la collaboration entre l’ÉTS (Département de génie mécanique), l’Université de Montréal (Département de chirurgie vétérinaire) et la Colorado State University (Flint Animal Cancer Center) pour concevoir, fabriquer et implanter des prothèses personnalisées canines.
Problématique
La forme la plus courante de cancer des os qui afflige les chiens de grande race est l’ostéosarcome. Chaque année, aux États-Unis, des milliers de chiens sont atteints de ce type de cancer. Dans la majeure partie des cas, ce sont les pattes avant qui sont touchées. Les pratiques courantes permettant de traiter ce cancer sont l’amputation du membre affecté, la chimiothérapie ou la chirurgie de sauvetage de membre (limb sparing) (Straw et Withrow, 1996). Une variante de cette dernière méthode implique une ostéotomie (excision de la partie affectée de l’os) et l’installation d’une plaque générique avec endoprothèse dans les os restants à l’aide de vis (Figure 1). Ces recours ne sont pas idéaux et entraînent dans 75 % des cas des complications comme les infections post-chirurgicales, les problèmes d’implant/os et la récurrence locale (Kirpensteijn et al., 1998; Mitchell et al., 2016). De plus, les plaques commerciales et les entretoises étant de dimensions standards, la longueur de coupe est restreinte aux longueurs d’endoprothèses offertes sur le marché. En d’autres mots, c’est le patient qui doit s’adapter à l’implant.

Figure 1 A) Plaque et endoprothèse commerciales; B) Radiographie du radius distal d’une patte affectée par l’ostéosarcome avec le plan de coupe prescrit par le chirurgien vétérinaire; C) Radiographie d’une patte instrumentée d’une prothèse commerciale
Conception d’une endoprothèse et d’un guide de coupe personnalisés
La solution de rechange proposée aux plaques génériques est l’utilisation d’une endoprothèse personnalisée et d’un guide de coupe conçus sur mesure. Cette combinaison devrait permettre une réduction importante du temps de chirurgie et, par le fait même, une réduction des risques d’infection postopératoire.
Le processus de création débute par la prise d’une tomographie par rayons X (CT scan) des deux membres avant du chien affecté. Ce procédé permet de balayer, couche par couche, les parties du corps en question et de générer des images en niveaux de gris représentant la densité des différents tissus qui constituent le membre. Ces images sont traitées avec un logiciel spécialisé et les structures osseuses sont reconstruites pour être utilisées dans la modélisation de l’implant. Une étape laborieuse de segmentation des os individuels et de lissage est nécessaire pour la suite de la conception (Figure 2).

Figure 2 Étapes de reconstruction de la structure osseuse
Afin de modéliser la prothèse dans Catia V5 (Dassault Systèmes), la partie affectée de l’os est d’abord remplacée par une réplique saine au moyen d’une opération de miroir. Une plaque trouée qui suit les contours des os restants y est ajoutée. L’épaisseur de l’implant est ensuite vérifiée et les zones minces sont renforcées (Figure 3).

Figure 3 Étapes de conception de la prothèse
Les mêmes modèles osseux sont utilisés pour la conception du guide de coupe. Un gabarit de conception préparé doit être positionné en fonction du plan de coupe donné par le chirurgien et adapté pour la morphologie osseuse du patient (Figure 4).

Figure 4 Conception du guide de coupe
Avant de passer à l’étape de fabrication, les concepts de la prothèse et du guide sont validés auprès du chirurgien vétérinaire.
Préparation pour la fabrication et impression
La prothèse est fabriquée à partir d’une poudre de l’alliage Ti-6Al-4V dans une machine de fabrication additive EOSINT M280. Cet alliage a l’avantage d’être biocompatible, souple, résistant et léger (module de Young de 110 GPa, limite d’écoulement de 1000 MPa et masse volumique de 4,41 g/cm3). La machine de fabrication additive fonctionne sur le principe de fusion laser sur lit de poudre. Les pièces à fabriquer sont découpées en couches très fines selon la direction de fabrication choisie et le parcours du laser est programmé pour consolider la poudre dans les endroits exigés par le modèle. Dans la machine, les couches de poudre sont empilées sur la plaque de fabrication et fusionnées de façon séquentielle. Étant donné que le laser fusionne la poudre localement, des contraintes thermiques importantes sont générées dans la pièce à cause d’un fort gradient de température. Pour empêcher les déformations thermiques ainsi que stabiliser les pièces lors de la fabrication, des supports qui lient les pièces à la plaque de fabrication doivent donc être générés au préalable.
À la suite de la fabrication, les contraintes résiduelles doivent être relâchées en effectuant un traitement thermique de 4 h à 800 °C dans une atmosphère de gaz inerte (argon). La séparation des pièces de la plaque de fabrication s’effectue en découpant les supports au niveau de la plaque. S’ensuivent des étapes de finition et de polissage qui peuvent prendre de nombreuses heures.

Figure 5 Étapes de fabrication de la prothèse personnalisée
La fabrication du guide de coupe doit suivre un procédé similaire, mais comme il est fabriqué en plastique ABS par dépôt de fil, l’imprimante 3D utilisée est une Stratasys Fortus 250mc (Figure 6).

Figure 6 Étapes de fabrication du guide de coupe personnalisé
La prothèse et le guide de coupe fabriqués doivent être nettoyés avant d’être expédiés au centre vétérinaire où ils sont stérilisés avant l’opération
Étude clinique
Une étude clinique est en cours au Flint Animal Cancer Center, à la Colorado State University, aux États-Unis. Cinq chiens ont subi des opérations de sauvetage de membre avec les prothèses et des guides de coupe fabriqués à l’ÉTS. Les opérations ont démontré une réduction importante du temps de chirurgie (1 à 2 h) et pourraient entraîner une diminution des risques d’infection postopératoire. La vidéo suivante montre un des chiens opérés deux mois après la chirurgie. Il se porte très bien!
Des travaux en cours portent sur le développement d’un modèle numérique représentatif d’un membre implanté afin d’optimiser la conception, la fabrication et l’implantation de la prothèse personnalisée.

Anatolie Timercan
Anatolie Timercan est étudiant au doctorat au Laboratoire sur les alliages à mémoire et systèmes intelligents (LAMSI) de l’ÉTS.
Programme : Génie mécanique
Laboratoires de recherche : LAMSI – Laboratoire sur les alliages à mémoire et les systèmes intelligents

Vladimir Brailovski
Vladimir Brailovski est professeur titulaire et directeur de laboratoire au Département de génie mécanique de l’ÉTS. Il est spécialiste en conception et en fabrication de dispositifs en alliages à mémoire de forme et en fabrication additive.
Programme : Génie mécanique
Laboratoires de recherche : LAMSI – Laboratoire sur les alliages à mémoire et les systèmes intelligents

Bertrand Lussier
Bertrand Lussier est professeur de chirurgie à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Ses domaines de recherches sont les modèles d’animaux en arthrose et les modalités thérapeutiques de l’arthrose.

Yvan Petit
Yvan Petit est professeur au département de génie mécanique de l’ÉTS. Ses intérêts de recherche portent sur la conception assistée par ordinateur, la biomécanique, les dispositifs médicaux et de protection et la fabrication additive.
Programme : Génie mécanique Génie technologies de la santé
Chaire de recherche : Chaire de recherche du Canada en biomécanique des traumatismes à la tête et la colonne vertébrale
Laboratoires de recherche : ÉREST – Équipe de recherche en sécurité du travail LIO – Laboratoire de recherche en imagerie et orthopédie

Bernard Seguin
Bernard Seguin est professeur associé au Flint Animal Cancer Center de la Colorado State University. Il est spécialisé en chirurgie oncologique vétérinaire.
Laboratoires de recherche :
Domaines d'expertise :
